Épisode 24/30

4.7
(21)

[< épisode 23]

— Où avez-vous appris ça ? Ce n’est qu’une petite anecdote, qui ne fait même pas partie de nos manuels d’histoire scolaires.

— Je lis beaucoup et je retiens… bien, admit-elle.

La cigarette était consumée, le jeune lieutenant cherchait où l’écraser. Ada lui présenta un cendrier, avec des yeux exigeants une réponse.  Maintenant.

— J’accepte, souffla le lieutenant surpris lui-même, comme si un autre avait dit oui à sa place.

— Magnifique ! Votre frère va être libéré ! Vous aurez un moment difficile à passer quand vous irez retrouver vos employeurs… les Russes. Les Turcs, eux, sont déjà au courant. Après, tout se passera bien… en principe…

— Et si j’échoue à donner le change ?

— Vous aurez un billet d’avion pour le pays que vous voudrez.

Elle se leva et lui tendit la main.

— Surtout faites attention à ne pas être suivi ! Appelez-moi lundi matin, au Hilton. Je m’appelle Adelaïde von Schönenwald et j’ai la chambre 307.

Elle quitta la pièce et Beyazit partit par la porte de service.

SAS rejoignis les autres dans le deuxième salon. Après avoir échangé un regard d’entente avec Cooper :

— Il est d’accord, dit-elle simplement.

Et elle expliqua ce qui avait été convenu concernant le prisonnier et son frère. Le colonel Karakoç n’avait pas l’air trop chaud mais s’inclina.

— Il n’y a plus qu’à attendre, continua-t-elle. Amiral, je vais avoir besoin de quelques spécialistes.

— Certainement.

— Pour ne pas attirer l’attention il faudrait qu’un pétrolier ravitailleur vienne faire le plein à la raffinerie BP, à proximité de l’Arkhangelsk, au sud. Il suffirait qu’il reste une nuit. Il aurait à son bord le matériel nécessaire et les hommes.

— Pour ce travail-là, répliqua Cooper, j’aurais assez de volontaires pour creuser le Bosphore avec leurs ongles.

Ada fut heureuse de se retrouver sur le boulevard Ataturk, au milieu des vieux taxis, des lumières des terrasses et de la foule bariolée. Son enquête avançait. Tout semblait s’imbriquer aisément, on allait pouvoir régler toute cette affaire avec succès.

Une autre se serait récompensée de cette future réussite en allant danser sur les tables. Mais Ada avait la joie discrète et au bout de douze minutes de cette accumulation de stimulations visuelles et auditives qui représentaient exactement son exaltation intérieure – et pas une minute de plus – elle prit un taxi et retourna au Hilton.

Yavuz nettoyait le pare-brise de sa Buick. Il bouscula le portier de l’hôtel pour ouvrir lui-même la porte du taxi qui ramenait SAS.

— Merci Yavuz, tenez-vous prêt, je vais bientôt avoir besoin de vous.

Un frisson d’excitation lui parcourut l’échine, il était toujours prêt pour ce type de tâche.

Derrière, un autre taxi débarqua les J&Bs qui avait quitté le consulat plus tard, à qui il jeta un regard de serpent.

Les trois américains se retrouvèrent dans le hall d’accueil de l’Hôtel.

— Je pense ne plus avoir besoin de vos services pour aujourd’hui, affirma SAS. Vous êtes libérés pour ce soir.

Et elle se dirigea vers l’ascenseur.

Jones et Brabeck se regardèrent, un peu décontenancés de n’avoir rien à faire.

— Si on allait au ciné ? proposa Milton. J’ai vu qu’il y avait Goldfinger à l’affiche, avec Sean Connery… Un peu d’espionnage à la sauce British ça te dit ?

Chris lui fit un clin d’œil :

— Héhé, bien joué Milton ! J’te suis direct ! Tu sais bien que j’en pince pour le beau 007. Tu penses que la nouvelle mouture sera…

Ils ressortirent de l’hôtel en échangeant leurs avis sur les génériques jamesbondiens, Shirley Basset, le film de 1963 qui se passait – c’est drôle tiens – en Russie, le prochain qui devrait sortir normalement avant la fin de l’année, et s’éloignèrent, toujours d’un même pas cadencé.

***

Arrivée dans ma chambre, j’appelai celle de Mark. Pas de réponse. J’appelai la réception qui me confirma que le beau sportif avait quitté l’hôtel ce matin. Dommage.

Je me préparai pour descendre au bar de l’hôtel, Sifiye étant en représentations au Roof, je songeais à l’attendre en faisant d’aimables connaissances. Je passai une robe noire courte en lurex ainsi qu’une paire de bottes blanches vernies et pris l’ascenseur.

Aux petites tables rondes distribuées autour du bar, étaient assis quelques couples et un groupe de business men qui riaient bruyamment à leurs blagues. Un pianiste meublait l’ambiance avec des standards de blues américains. Du côté du bar, deux messieurs conversaient âprement sur la gauche, et à l’autre bout, sur la droite, une silhouette masculine se tenait à demi assis sur un haut tabouret, le pied gauche posé sur le tube chromé qui servait d’appui-pied et le dos légèrement courbé sur son immense journal déplié. Elle prit le siège voisin et glissa un œil sur ce que lisait son voisin. Du suédois ! Splendide ! D’une voix douce – et en suédois – elle attaqua :

— Il n’est pas un peu tard pour avoir des nouvelles fraîches ?

Il éclata de rire.

— C’est que je viens d’atterrir… Vous êtes suédoise vous aussi ? répondit la silhouette.

Explications. Lui était un co-pilote de la SAS (non, pas co-pilote de moi… de la Scandinavian Airlines System). Absolument wundershön. L’équipage était parti faire la fête en ville, lui avait eu envie de rester au calme… Il s’appelait Niklas. Et avait une bouche qui donnait vraiment envie de le connaître.

Je me suis réveillée avant Niklas. Sa divine bouche me donna envie de ressusciter son merveilleux corps. Notre étreinte fut brève mais intense. Nous avons ensuite commandé un service en chambre. Il retrouvait ses collègues en début d’après-midi pour un circuit touristique organisé autour d’Istanbul, inutile de perdre du temps à s’habiller pour aller dans un restaurant.

***

Le pétrolier américain Marble Head remontait le Bosphore. Prévenue par l’amiral Cooper, en début d’après-midi, SAS le regarda défiler sous ses fenêtres. Il avait l’air d’un honnête pétrolier. Celui-ci s’amarra devant la raffinerie BP, au sud de l’Arkhangelsk.

Cooper avait rappelé trente minutes plus tard en confirmant que tout était prêt :

— Assurez-vous de ne pas être suivie en sortant de l’hôtel. Une voiture de chez nous vous attendra dans l’avenue Caddesi. C’est une Ford grise de la US Navy. Il y a un uniforme pour vous, pour le cas où le Marble Head serait sous surveillance.

Après avoir raccroché, elle descendit. Devant la réception, elle trouva Yavuz assis dans un fauteuil. Ada lui fit signe et glissa familièrement son bras sous le sien lorsqu’il se leva. Il se raidit, appréhensif.

— J’ai un petit problème, expliqua-t-elle. Je veux aller dîner avec un ami, mais il ne faut pas que Sifiye le sache. Il est tellement jaloux. Alors, je voudrais que vous emmeniez d’abord mon ami au restaurant et je le rejoindrai un peu plus tard.

Yavuz respira. C’était dans ses cordes.

— Nous serons ici vers 20h00 et vous partirez avec mon ami. Je prendrai un taxi de mon côté ensuite et nous nous retrouverons au Tarabya !… Et pas un mot à Sifiye !

Ada remonta jusqu’au quatrième, trouver les J&Bs. Jones était dans la chambre de Brabeck, ils jouaient au poker sur la moquette. C’est Brabeck qui vint à la porte.

— Je vais avoir besoin de vous tout à l’heure. Je vais sortir vers 20h00. À pied. Il faudra vous assurer que personne ne me suit. Je vais marcher trois cents mètres sur la Clumhuriyet, jusqu’au Park Hôtel. Un peu avant, vous verrez un immeuble dont la cour donne sur une petite rue. J’entrerai et vous me suivrez. Je compte sur vous pour que personne ne ressorte ensuite derrière moi.

En sortant de chez Brabeck et comme Sifiye avait la chambre adjacente, elle toqua trois coups, tendit l’oreille. Personne. Elle allait redescendre dans sa chambre. Arrivée devant la porte de l’ascenseur, celle-ci s’ouvrit et Sifiye sortit de la cabine.

— Ah mais tu es là finalement, minauda-t-elle.

— Tu me cherchais ? Puis-je faire quelque chose pour toi ?

— Mais oui, tu peux !

Elle glissa son bras sous le sien, posa son visage sur son épaule et l’accompagna à sa chambre.

***

De retour dans sa chambre, vers 19h, Ada se prépara pour la soirée. Enfin coiffée et maquillée, elle passa une robe de soirée blanche brodée de petits brillants, très près du corps. Elle attrapa une étole de même facture et descendit pour son rendez-vous – prétexte – avec Niklas.

Le Suédois était déjà là et la regarda marcher dans sa direction. Il dodelinait doucement de la tête en rythme avec son déhanché. Quelle beauté que cette jeune femme, il sourit à s’exploser les joues de fierté ! Yavuz, moins sensible à ce type de beauté, se tenait à ses côtés, mains jointes sur le devant, prêt à rendre service.

Malgré cet accueil chaleureux, Ada arbora son air le plus triste :

— Je suis désolée, Niklas, j’attends un coup de fil important et je dois rester encore un moment à l’hôtel. Comme ce serait idiot de vous faire attendre avec moi, vous allez partir avec mon chauffeur qui va vous faire visiter un peu Istanbul avant d’aller au restaurant. Je vous rejoindrai directement au Tarabya.

Un peu surpris et assez déçu, Niklas acquiesça à contre cœur, baisa galamment sa main et suivit Yavuz. Ada regarda partir la voiture, retourna dans l’entrée, demanda au concierge le numéro de téléphone du Tarabya, et ressortit.

Comme un seul homme (!), les J&Bs qui étaient restés discrètement en retrait lui emboîtèrent le pas.

old town istanbul

20.

Istanbul, Turquie
Soir du samedi 31 juillet 1965

SAS marchait au milieu du trottoir, lentement, gênée par l’étroitesse du bas de la robe et la hauteur de ses escarpins. Avec naturel, elle s’engagea sous le porche et attendit dans la cour. Les J&Bs arrivèrent sur ses talons. Brabeck vint vers elle avec un sourire qui se voulait rassurant.

— Allez-y… Nous, on ne bouge plus !

Ada traversa la cour, évitant de justesse une troupe de chats errants blottis autour d’une vieille brouette, et ouvrit sans difficulté une petite porte en bois donnant sur une ruelle actuellement déserte. Elle remonta le bas de sa robe sur ses genoux retira ses escarpins et partit à grandes enjambées.

Restés dans la cour, les deux Américains s’étaient embusqués chacun derrière un angle. Brabeck balançait au bout de son bras droit un énorme colt automatique et Jones avait la main posée sur la crosse de son . Une arme à pulvériser une voiture à un kilomètre. Effectivement personne n’avait intérêt à suivre SAS.

Et personne ne la suivit.

La Ford grise de la Navy attendait en face d’une boutique de coiffure. Elle ouvrit la portière arrière d’un geste naturel et plongea aussitôt sur le siège. La voiture démarra.

Le chauffeur, un simple marin, lui tendit un paquet.

— Votre uniforme.

Entre deux feux rouges, . Heureusement, ils avaient pensé à ajouter une paire de deckshoes en tissu et semelles de caoutchouc, un peu grandes, certes, mais toujours préférables que ses talons.

À toute vitesse, la Ford remonta le boulevard Beylerbeyi, après avoir traversé le bac Mebusan en priorité. Et une demi-heure plus tard, elle s’arrêta à la sortie du village de Beykoz. Il y avait là un appontement servant aux embarcations qui reliaient à la terre les navires mouillés dans le Bosphore. Une des chaloupes à moteur du Marble Head attendait. Comme deux marins rentrant de bordée, SAS et le chauffeur sautèrent dedans. L’amiral Cooper les attendait à la coupée :

— SAS, je vous présente le colonel March, des services spéciaux de la Marine, dit-il dès que la chaloupe se fut éloignée du bord.

— Enchanté, fit-il d’une grosse voix ferme.

[à suivre…]

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